une Polonaise risque la prison pour avoir aidé une femme à avorter
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Le procès d’une militante féministe polonaise ayant fourni des pilules abortives à une femme victime de violences conjugales se poursuit mardi en Pologne. Pour la première fois en Europe, une activiste ayant aidé une femme à avorter risquer la prison ferme.
Accusée d’avoir fourni une aide à l’avortement, Justyna Wydrzynska sera entendue pour la sixième fois, mardi 14 mars, par un tribunal de Varsovie. La fondatrice du collectif Abortion Dream Team, qui lutte en Pologne pour le droit à l’avortement, encourt jusqu’à trois ans de prison. Elle est poursuivie par la justice polonaise depuis avril 2022 pour avoir fourni des pilules abortives à une Polonaise qui en avait fait la demande.
« C’est la première fois en Europe qu’une activiste risque la prison pour avoir porté assistance à une femme souhaitant avorter », souligne Mara Clarke, co-fondatrice de Supporting Abortions for Everyone (SAFE), qui défend l’accès à l’avortement « L’avortement dans toute l’Europe ».
En Pologne, il est légal de donner des informations sur l’IVG. Mais l’avortement reste interdit, sauf en cas de viol, d’inceste ou de mise en danger pour la vie de la mère. Même en cas de malformation grave du fœtus, l’avortement reste quasi-impossible.
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Sur place, les militantes polonaises comme celle du collectif Abortion Dream Team parcourent le pays, informent les femmes, et réalisent un travail de fond délicat et « risqué », comme le souligne Mara Clarke. Mais si quelqu’un a besoin d’utiliser une IVG, l’envoi de médicaments abortifs doit se faire depuis un pays extérieur, par une organisation tiers.
C’est dans ce contexte que Justyna Wydrzynska a répondu à l’appel au secours d’Anna, enceinte d’environ 12 semaines et victime de violences conjugales, en lui fournissant dans l’urgence un paquet de pilules abortives qu’elle avait gardé chez elle. « Tout ça s’est déroulé pendant la crise du Covid, en 2020 », détaille Mara Clarke. « Les services postaux ne fonctionnaient pas correctement et on ne savait pas si les médicaments seraient livrés à temps depuis l’étranger pour aider cette femme ».
« Le mari d’Anna l’avait empêchée une première fois d’aller se faire avorter en Allemagne. Et cette fois-ci, il a confisqué ses médicaments après avoir surveillé ses communications », poursuit la militante.
L’homme, soupçonné de violences conjugales, a ensuite appelé la police et dénoncé Justyna Wydrzynska, dont le domicile a été perquisitionné. La femme a fait une fausse couche quelques jours après que son mari ait alerté la police.
Un procès pour l’exemple
« Les autorités veulent faire dire à Justyna qu’elle regrette son geste et qu’elle ne le refera plus. Mais elle refuse », raconte Mara Clarke, en contact permanent avec la prévenue. « Elle est fatiguée car l’affaire dure, mais elle est poursuivie à poursuivre ses activités ».
Pour Mara Clarke, « le fait que Justyna Wydrzynska risque trois ans de prison pour avoir répondu à la demande d’aide d’une femme et d’une mère qui tentait d’échapper à une relation abusive est en soi un crime – contre la liberté de disposer de son corps et contre les droits de l’Homme ».
Loin d’avoir intimidé les militantes féministes, le sort de Justyna Wydrzynska a ravivé leur combat. À chaque audience, devant le tribunal, des dizaines d’entre elles se rassemblent avec des banderoles proclamant « J’aurais fait comme Justyna ».
Dans une lettre rendue publique le 2 mars par le site d’investigation OKO.pressla femme secourue par Justyna Wydrzyńska, la remercie pour son aide : « C’était une expression d’humanité. Parce que dans une situation où des personnes qui avaient le devoir moral et, pour certaines d’entre elles, le devoir légal de m’aider, se tenaient debout en se lavant les mains, vous seule m’avez donné la main ».
Le procès de Justyna Wydrzyńska commence aujourd’hui à Varsovie. Elle pourrait être emprisonnée pendant 3 ans pour avoir fourni une pilule abortive à une femme qui en avait besoin. C’est la première affaire où des poursuites s’en prennent à un militant. pic.twitter.com/gNPLyDMcfD
— Claudia Ciobanu (@Claudia_Warsaw) 8 avril 2022
« Je n’ai aucun regret »
« L’affaire étant médiatisée, on parle enfin de la réalité des IVG en Pologne », analyse Mara Clarke, qui se réjouit que, d’une certaine manière, « les femmes en entendent parler et savent qu’elles peuvent nous contacter en cas de besoin ».
De son côté, Justyna Wydrzynska n’a pas baissé les bras, et dispose même de quelques soutiens politiques. Elle est intervenue le 6 mars devant des députés polonaises du parti de centre-gauche Nowa Lewica pour défendre son action. Très émue, elle a déclaré à propos de l’affaire d’Anna : « Si je pouvais remonter le temps, je le referais. Je n’ai aucun regret ».
Le lendemain était débattue au Parlement polonais une proposition de loi intitulée « L’avortement est un meurtre », visant à criminaliser la communication d’informations sur l’IVG. Un texte qui a finalement Essuyé le refus d’une très grande majorité de parlementaires.
Właśnie trwa debata w Sejmie nad haniebnym projektem Kai Godek, która chce wsadzać do więzienia osoby pomagające kobietom w aborcjach. Takie jak Justyna Wydrzyńska.
Ale nie ma na à naszej zgody. pic.twitter.com/Uwz4yqOmMA– Wanda Nowicka (@WandaNowicka) 7 mars 2023
Pendant ce temps, plusieurs femmes sont décédées en Pologne, en 2021 et 2022, après qu’un avortement leur a été refusé, raconte la Rtbf. L’une d’entre elles, Agnieszka, est morte le 25 janvier 2022, après « un choc septique lié à sa grossesse », selon sa famille. Enceinte de jumeaux, elle perd un fœtus, puis un second. Mais les médecins ont tardé à lui extraire, citant la loi sur l’avortement adopté par le gouvernement polonais.